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Noche y niebla

Aubret Isabelle

Nuit et brouillard

Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent

Ils se croyaient des hommes, n'étaient plus que des nombres
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés
Dès que la main retombe il ne reste qu'une ombre
Ils ne devaient jamais plus revoir un été

La fuite monotone et sans hâte du temps
Survivre encore un jour, une heure, obstinément
Combien de tours de roues, d'arrêts et de départs
Qui n'en finissent pas de distiller l'espoir

Ils s'appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel
Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou
D'autres ne priaient pas, mais qu'importe le ciel
Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux

Ils n'arrivaient pas tous à la fin du voyage
Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux
Ils essaient d'oublier, étonnés qu'à leur âge
Les veines de leurs bras soient devenues si bleues

Les Allemands guettaient du haut des miradors
La lune se taisait comme vous vous taisiez
En regardant au loin, en regardant dehors
Votre chair était tendre à leurs chiens policiers

On me dit à présent que ces mots n'ont plus cours
Qu'il vaut mieux ne chanter que des chansons d'amour
Que le sang sèche vite en entrant dans l'histoire
Et qu'il ne sert à rien de prendre une guitare

Mais qui donc est de taille à pouvoir m'arrêter ?
L'ombre s'est faite humaine, aujourd'hui c'est l'été
Je twisterais les mots s'il fallait les twister
Pour qu'un jour les enfants sachent qui vous étiez

Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants
Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent

Noche y niebla

Eran veinte y cien, eran miles
Desnudos y flacos, temblando, en esos vagones plomados
Que rasgaban la noche con sus uñas golpeando
Eran miles, eran veinte y cien

Se creían hombres, ya no eran más que números
Hace tiempo que sus destinos fueron sellados
Cuando la mano cae, solo queda una sombra
Nunca más verían un verano

La monótona y sin prisa huida del tiempo
Sobrevivir un día más, una hora, con obstinación
¿Cuántas vueltas de rueda, paradas y partidas
Que no terminan de destilar la esperanza?

Se llamaban Jean-Pierre, Natacha o Samuel
Algunos rezaban a Jesús, Jehová o Vishnú
Otros no rezaban, pero qué importa el cielo
Solo querían dejar de vivir de rodillas

No todos llegaban al final del viaje
¿Pueden ser felices los que regresaron?
Intentan olvidar, sorprendidos de que a su edad
Las venas de sus brazos se hayan vuelto tan azules

Los alemanes acechaban desde las torres de vigilancia
La luna callaba como ustedes callaban
Mirando lejos, mirando afuera
Su carne era tierna para sus perros policías

Ahora me dicen que estas palabras ya no tienen valor
Que es mejor cantar solo canciones de amor
Que la sangre se seca rápido al entrar en la historia
Y que no sirve de nada tomar una guitarra

Pero ¿quién puede detenerme?
La sombra se ha vuelto humana, hoy es verano
Twistearía las palabras si fuera necesario
Para que un día los niños sepan quiénes eran

Eran veinte y cien, eran miles
Desnudos y flacos, temblando, en esos vagones plomados
Que rasgaban la noche con sus uñas golpeando
Eran miles, eran veinte y cien

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