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Mis largos viajes

Félix Leclerc

Mes longs voyages

Quand je sortirai de ce pays vieux
Que sont mes naufrages
Quand je rentrerai dans ce pays neuf
Qui est ton visage
Alors, je fermerai les yeux
Et je réveillerai
Mes équipages
Mes longs voyages

Quand j'étais fils de loup
Pieds nus, sans corde au cou
Quand j'étais fils du vent
Étudiant, trafiquant
Quand j'étais chez les filles
Prince fou, sans famille
Quand on m'a brisé l'os
De la mâchoire
Et quand j'ai fui avec mes bosses
Au fond du continent
Pour éviter les fers
De mes frères les hommes

Je te raconterai
Que j'étais héritier
Du château du roi sourd
Qui, au fond de sa cour
Pleurait pour que je chante
Pleurait pour que je vante
Ses rimes et ses crimes
Après, me torturait
Après, me médaillait

Toute ma vie durant, vivant
Dans l'irréel, mam'zelle
Avec mes ailes frêles
Fortes comme cerf-volant
Je fus pan de nuage
La voile bleue, au large
Qu'on ne peut mettre en cage
Qu'on harponne en riant

Les lettres et les livres
Les fuites, les écritures
Les grimoires, les Jésuites
Les foires, les poires, les huîtres
Les gloires et toute la suite
Le larron parasite
Collés sur mes talons
Collés sur mes talents
Crevant mes réussites
À grands coups de crayon
Me haïssant d'aimer
Me cernant, me jugeant
Me piégeant, me blessant
Me tuant

Mais là-haut, au-dessus d'eux
J'étais là-haut, dans une étoile rouge
Leur faisant des grimaces
Et l'étoile était rouge
Parce que c'était du sang, le mien
Et le tien est venu
Tous ces cheminements
Pour arriver à toi
Pour arriver souffrant
Où étais-tu, mon âme
Pendant cet heureux temps de misère
Et de vent?

Maintenant, je m'assois
Et je vis avec toi
Qui as daigné mêler ton âge
Avec le mien
En sortira un lien
Qui me vengera bien
En se tenant très près des hommes
Faux ou vrais
Ce que je n'ai pas fait

En se tenant très près surtout de sa mère
Ce que j'aurais dû faire depuis que tu m'attends
Maintenant je suis là
Si demain je m'en vas, retiens-moi
Rejoins-moi, si je meurs
Nous irons vivre ailleurs

Mis largos viajes

Cuando salga de este país viejo
¿Qué son mis naufragios?
Cuando regrese a este país nuevo
¿Cuál es tu rostro?
Entonces, cerraré los ojos
Y despertaré
A mis tripulaciones
Mis largos viajes

Cuando era hijo de lobo
Descalzo, sin soga al cuello
Cuando era hijo del viento
Estudiante, traficante
Cuando estaba con las chicas
Príncipe loco, sin familia
Cuando me rompieron el hueso
De la mandíbula
Y cuando huí con mis bultos
Al fondo del continente
Para evitar las cadenas
De mis hermanos los hombres

Te contaré
Que era heredero
Del castillo del rey sordo
Que, en el fondo de su patio
Lloraba para que cantara
Lloraba para que alabaran
Sus rimas y sus crímenes
Después, me torturaba
Después, me medallaba

Toda mi vida, viviendo
En lo irreal, mam'zelle
Con mis alas frágiles
Fuertes como un papalote
Fui un trozo de nube
La vela azul, en alta mar
Que no se puede encerrar
Que se arponea riendo

Las cartas y los libros
Las fugas, las escrituras
Los grimorios, los jesuitas
Las ferias, las peras, las ostras
Las glorias y toda la secuela
El ladrón parásito
Pegado a mis talones
Pegado a mis talentos
Reventando mis logros
A grandes golpes de lápiz
Odiándome por amar
Cerniendo, juzgándome
Cazándome, hiriéndome
Matándome

Pero allá arriba, por encima de ellos
Estaba allá arriba, en una estrella roja
Haciéndoles muecas
Y la estrella era roja
Porque era sangre, la mía
Y la tuya vino
Todos esos caminos
Para llegar a ti
Para llegar sufriendo
¿Dónde estabas, mi alma
Durante ese feliz tiempo de miseria
Y de viento?

Ahora, me siento
Y vivo contigo
Que has tenido a bien mezclar tu edad
Con la mía
De eso saldrá un lazo
Que me vengará bien
Estando muy cerca de los hombres
Falsos o verdaderos
Lo que no hice

Estando muy cerca, sobre todo de su madre
Lo que debí hacer desde que me esperas
Ahora estoy aquí
Si mañana me voy, reténme
Regrésame, si muero
Iremos a vivir en otro lugar

Escrita por: Félix Leclerc